Joel Benguigui
Back Home (2/4)
Après plusieurs années loin de sa famille biologique, le photographe Joel Benguigui s'est mis en quête de la retrouver. Au coeur de l'Indonésie, vivez avec lui leurs émouvantes retrouvailles...
J’ai quitté Paris sans savoir ce que ce voyage allait m’offrir.
Cette nuit, sur le bateau pour Larantuka, je ne dors que très peu. Mon esprit est en pleine ébullition, car c’est bien plus qu’une simple aventure. C’est l’aventure d’une vie.
Je me demande ce que pensaient les passagers, me voyant moi, un ‘bule’, un touriste, en train de me balader avec un appareil photo d’un autre âge autour du cou.
Clarita me regardait toujours avec de grands yeux. Une enfant pleine de curiosité. Elle se demandait sûrement pourquoi je voyageais avec eux, pendant que sa grand-mère dormait auprès d’elle dans l’un de ces lits superposés.
Cet été, ma soeur Lynda a enfin divorcé. Ce mariage abusif ne lui a pas permis de s’occuper de sa fille unique, Clarita.
Elle vit avec sa grand-mère Maria à Larantuka. Elle est entourée de sa famille qui lui donne beaucoup d’amour, et de Maria, qui s’assure qu’elle soit scolarisée. Par contre, elle grandit dans des conditions sanitaires qui sont une réelle menace pour sa santé.
En 2008, je ne savais que très peu à leur sujet. Lynda étudiait pour devenir infirmière, et mon frère était pêcheur.
Je ne m’étais jamais imaginé que lorsqu’il n’était pas en mer, il travaillait très dur pour aider sa communauté à la culture et récolte de riz.
Avec ses compagnons, ils passaient des jours entiers passés dans les champs, à fouetter les brins de riz contre un ‘trois-pieds’, une sorte de table inclinée, pour en extraire les grains.
Il m’est très difficile de trouver les mots justes pour exprimer ce que j’ai ressenti, lorsque j’ai rencontré ma mère et mon frère biologiques.
Une excitation immense, oui, mais aussi quelque chose que je ne peux pas décrire.
Plusieurs fois, j’ai entendu le mot « Mujizat » (miracle). Le miracle d’être avec ceux dont je partage le sang, après tant d’années. Moi, grandissant à Paris, eux ici, à l’est de l’Indonésie.
Du haut de ses 36 ans, mon frère Andi est marié et a 3 enfants. Sur le bateau en direction de Larantuka (la ville où vit ma mère), il me raconte à quel point il est dur d'être pêcheur. Par contre, il aime son métier. Après plusieurs cafés et quelques bols de nouilles, il me montre un tatouage très spécial : "I love Balle". C'est le surnom de sa femme.
Je raconte à Andi combien il a été difficile et très excitant de partir à leur recherche et que quelques jours avant de me poser à Denpasar, je n’avais aucune piste.
Je me souvenais juste de Bone Bali Hada. J’avais cette image d’un homme dur, strict sans doute à cause de son passé d’officier de l’armée.
Mais quand je l’ai revu, mes souvenirs se sont soudainement effacés. Cet homme a passé ses 20 dernières années à aider des familles à se retrouver et se rapprocher des membres perdus de vue. Il encadrait également des équipes de bénévoles qui se rendaient sur des zones sinistrées afin d’aider des Indonésiens à reconstruire leur vie après qu’ils aient tout perdu.
Mon frère est très fier de parler quelques mots d’anglais, lui qui n’a pas fini le collège.
Je pouvais ressentir quelque chose de très fort en sa présence, quand nous faisions route pour la ville où notre mère vit. Il observait tout ce qui se passait autour de nous, et me parlait de son bateau de rêve.
Il me racontait combien il est dur d’être pêcheur, mais combien il aime son métier.
Andi a passé presque toute la nuit sur le pont supérieur, essayant d’avoir un peu de signaux pour vois les derniers posts sur son Facebook.
Nuit noire. Mer calme. Pour seul bruit, le bruit des moteurs.
Un homme plongé dans ses pensées et moi repoussant un peu plus mes limites, ici, dans la partie est de l’Indonésie, en route pour Florès, pour rencontrer les miens, le reste de ma famille.